Faut-il se mettre au Business vert ?
Des entrepreneurs ont réussi à réconcilier économie et écologie. Que ce soit dans les transports, l’énergie ou l’agriculture, ces initiatives jouent sur l’innovation et une demande croissante.
La mise au ban du glyphosate et des pesticides dans l’agriculture ne fait pas que des déçus et des râleurs. Elle est une aubaine pour VitiBot. Cette jeune entreprise fondée il y a moins de trois ans dans la région Champagne vient de mettre au point un engin révolutionnaire pour l’entretien des vignes. Autonome et pilotable depuis un smartphone, le «Bakus», cet ovni bleu canard, est l’antithèse du tracteur. Plus de gazole pour le faire fonctionner, mais des batteries électriques qui lui assurent dix heures d’autonomie. Quant au traitement des sols, il est réalisé de manière mécanique avec des lames qui arrachent les mauvaises herbes. Les pesticides, tant décriés, ne sont donc plus nécessaires. VitiBot prévoit de vendre cette année 30 exemplaires de son Bakus, à 150 000 euros l’unité. D’ici à la fin 2019, il devrait lever 10 millions d’euros pour financer son développement.
A quelques centaines de kilomètres de là, dans les Yvelines, Envea a fêté il y a peu son quarantième anniversaire. Ce leader européen des appareils de mesure d’émissions dans l’air s’est offert, depuis le début de cette année, une progression de 20 % de son cours en Bourse et frise les 200 millions d’euros de valorisation. Deux parcours différents mais qui démontrent, l’un comme l’autre, que l’écologie peut se réconcilier avec l’économie.
Taille critique
Aujourd’hui, bon nombre d’entreprises qui œuvrent dans les énergies renouvelables, le traitement de l’eau ou encore les nouvelles mobilités sont aussi durables que rentables. Le point de départ de ces initiatives demeure la préservation de la planète. Pour autant, les notions de business plan, de compétitivité ou de maîtrise des coûts ne sont pas considérées comme des gros mots par ces jeunes pousses, ou même chez leurs consœurs plus installées dont l’objectif premier reste la rentabilité. «Face aux enjeux environnementaux nous apportons une réponse économique basée sur les nouvelles technologies», affirme le directeur général de VitiBot, Bernard Boxho. Il énumère les gains écologiques générés par son robot viticole : «Son utilisation revient à 1 euro de l’heure à comparer aux 10 litres de gazole consommés par un tracteur, sans compter l’indispensable vidange toutes les trois cents heures d’utilisation.»
La nature ayant horreur du vide, les start-up du «green» ont germé sur le déni des questions environnementales par les grands groupes industriels ou de service. Le PDG d’Envea, François Gourdon, qui fut jeune fonctionnaire dans le tout premier ministère de l’Environnement, en 1978, se souvient : «Je voyais les rapports alarmants sur la pollution de l’air et l’absence d’appareils de mesure.» Il décide alors de se lancer sur ce créneau en misant sur la recherche et le développement, mais aussi en rachetant des filiales de grandes entreprises, comme Schlumberger, qui préfère alors se concentrer sur les plateformes pétrolières. Au fil des ans, l’ingénieur François Gourdon acquiert pas moins de quinze entreprises toujours dans le secteur des appareils de mesure, lui permettant d’atteindre une taille critique, et d’afficher une croissance et un bénéfice d’un exercice comptable sur l’autre.
Maquis
La prise de conscience, à pas plus que comptés, des questions environnementales par le monde industriel a également fait le succès d’une société de conseil dans la transition environnementale: GreenFlex, créée en 2009. «A cette époque, les entreprises voyaient le développement durable comme un frein», rappelle son PDG, Frédéric Rodriguez. Pourtant, dix ans plus tard, GreenFlex réalise 500 millions de chiffre d’affaires et plus de 500 salariés. Elle affiche une croissance de 35 % en moyenne par an. La société conseille les deux tiers du CAC40, mais aussi des entreprises de taille plus modeste autour des économies d’énergie, de la construction d’une filière bio, ou encore sur le maquis des financements disponibles du développement durable. Ironie de l’histoire, GreenFlex a été rachetée par le pétrolier Total, pas vraiment une référence en matière d’écologie et d’énergie renouvelable. L’intéressé n’en a cure et assume : «Nous avons désormais des concurrents de taille importante, comme les grands cabinets de conseil, et Total nous permet d’avoir une vision à long terme.»
Même le monde de la finance, pas particulièrement avant-gardiste sur ces questions, a fini par s’y mettre, avec le zèle des nouveaux convertis. BNP Paribas propose à ses clients de placer leur mise sur huit fonds d’investissement verts. Leur portefeuille est composé d’entreprises dont 20 % du chiffre d’affaires, au moins, est lié à une activité de protection de l’environnement. Que ce soit dans le traitement de l’eau, le recyclage ou encore l’efficacité énergétique. Au total, ces placements verts ont drainé 10 milliards d’euros uniquement pour BNP Paribas, qui fait figure de numéro 1 dans ce domaine. Les investisseurs, qu’ils soient particuliers ou institutionnels (caisses de retraite, assurances), ont-ils voulu accomplir un acte d’engagement envers la planète ou ont-ils été très pragmatiques ? Les performances des fonds «verts» de BNP n’ont rien à envier à des placements plus classiques. Leur rentabilité oscille entre 6,5 % et 13,5 %, avec même une pointe à 17,6 % pour l’un d’entre eux. Aussi bien, voire mieux que des produits d’investissement traditionnels, avec en prime un engagement citoyen. Il semblerait que les millenials et les femmes soient les plus nombreux à souscrire.
Écosystème
Le même engouement se retrouve au sein du réseau d’investisseurs individuels Cleantech. Ici, le ticket est plus modeste : 30 000 euros par dossier et ceux qui apportent les fonds sont aussi bien des cadres que des médecins ou des pilotes soucieux de donner un sens à leur épargne et de suivre où va précisément leur argent. Cleantech a ainsi financé Trialp, une entreprise de recyclage située dans les Alpes qui emploie 120 salariés, ou encore Atawey qui commercialise des stations de rechargement pour les véhicules à hydrogène.
Le plus dur est fait pour les entreprises qui souhaitent se lancer sur ce marché. Le financement est disponible, la demande des particuliers comme des sociétés est en croissance et, surtout, la législation en constante évolution booste cet écosystème. «Nous sommes très dépendants de la réglementation et elle se durcit», constate le PDG d’Envea, François Gourdon. Ainsi, à chaque fois qu’une ville décide d’affermir les conditions de circulation en fonction du taux de particules dans l’air ambiant, il ne vend que mieux ses stations de mesure de la pollution, facturées 150 000 euros pièce. Vert et prospère.
Source: liberation